Colloque automnal 9-10 novembre 2018
1918-1919 Défis et enjeux de l’après-guerre au Québec
Une mémoire toujours vivante de la relation entre le Québec et la France
Par Gilles Durand
Le vendredi 9 novembre – Ouverture officielle du colloque
Photo : CFQLMC – Gilles Durand |
Mots de bienvenue du colonel Gervais Carpentier, commandant du Collège militaire royal de Saint-Jean (CMR de Saint-Jean), et du professeur Roch Legault, doyen à la recherche
« Bienvenue …[Le présent colloque] fait suite à un premier colloque tenu en 2014 qui portait également sur la Première Guerre mondiale et le Québec… Celui-ci avait été un franc succès, conclu d’ailleurs par une publication de grande qualité [Le Québec dans la Grande Guerre. Engagements, refus, héritages, sous la dir. de Charles-Philippe Courtois et de Laurent Veyssière, Septentrion, 2015]…
L’histoire militaire canadienne et plus particulièrement québécoise est un domaine de recherche essentiel à nos yeux et le CMR de Saint-Jean et son corps professoral en font la promotion. La tenue de cette activité nous permet de souligner le centenaire du 11 novembre 1918 et la fin de la Première Guerre mondiale… Cette rencontre scientifique est également une belle façon de célébrer le retour de l’enseignement universitaire au CMR de Saint-Jean. »
Mot du président de la Fédération Histoire Québec, Richard M. Bégin
Photo : CFQLMC – Gilles Durand |
Le président de la Fédération présente le thème du colloque, la sortie de la Grande Guerre : « Nos compatriotes sont revenus pour s’atteler rapidement à la tâche de reconstruire une société prospère et en paix. C’est autour de ce thème que nous avons réuni des conférenciers, historiens et chercheurs, qui partageront avec vous leur savoir sur les défis et les enjeux de l’Après-guerre au Québec.
Nous profitons également du colloque pour lancer quatre publications de nos conférenciers invités, aux thématiques en lien avec la Grande Guerre...
Dans la réalisation du colloque, la Fédération a retrouvé avec plaisir ses partenaires de 2014, à commencer par le CMR de Saint-Jean, qui nous reçoit « dans ses quartiers », dirons-nous, et dont l’expertise et l’implication au comité scientifique de ses historiens militaires se sont avérées inestimables. »
Il termine en remerciant les autres partenaires, les deux sections québécoise et française de la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs (CFQLMC), l’organisme français Mission du Centenaire 14-18 et le ministère des Anciens Combattants du Canada.
Allocution d’un porteur de la mémoire vivante franco-québécoise, le coprésident de la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs (CFQLMC), Denis Racine
Photo : CFQLMC – Gilles Durand |
Le coprésident québécois de la CFQLMC, Denis Racine, prend la parole, d’abord pour faire la lecture d’une lettre de la Déléguée générale de France à Québec, Laurence Haguenauer, ensuite pour s’exprimer en son nom personnel. Retenu à Paris, le coprésident français de la CFQLMC, Laurent Veyssière, s’adresse aux participants au colloque par vidéoconférence. |
Photo : CFQLMC – Gilles Durand |
Le message qui en découle est celui d’une relation entre le Québec et la France bien vivante, marquée par la solidarité lors de la Grande Guerre, et qui s’exprime, cent ans après la signature de l’armistice, par un sentiment de reconnaissance. « Au Canada, d’affirmer le coprésident québécois, nous avons déploré près de 65 000 morts et de 150 000 blessés. Sur une population totale de 4,5 M., cette offrande de sang ne fut pas négligeable. Durant le colloque [de 2014], nous avons démontré que contrairement aux idées reçues, les Québécois ont fait leur part au même titre que les autres Canadiens. » De son côté, la Déléguée générale de France indique que le Président Macron a voulu placer les commémorations « sous le double signe de la mémoire et de l’avenir ». Le Consulat de Québec « s’est engagé dans ces commémorations dans le même esprit, et avec la volonté de mettre en lumière un chapitre commun et de première importance de l’histoire de la France et du Québec. Une semaine d’événements a été organisée et coordonnée, en lien notamment avec nos amis de la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs, que je souhaite remercier ici et d’autres partenaires. »
Le coprésident français de la CFQLMC n’est pas sans mentionner que les préoccupations sont communes au Québec et à la France : « Cependant les thèmes qui seront abordés dans votre colloque sont pour nombre d’entre eux identiques à ce que la France a connu à partir de 1919 : la sortie de guerre, le retour des soldats, valides et blessés, leur réinsertion dans la vie professionnelle, le deuil de ceux qui sont morts en France ou en Belgique, les bouleversements sociaux provoqués par ces quatre années de guerre, la place des femmes, le rôle des anciens combattants ou encore les politiques mémorielles liées au conflit. »
9 novembre – Conférence inaugurale par Mourad Djebabla-Brun : Carnet de guerre de Joseph-Alphonse Couture (1914-1919)
Photo : CFQLMC – Gilles Durand |
Le conférencier entretint l’auditoire des souvenirs des combats d’un soldat de la Grande Guerre, dont il vient tout juste de publier le carnet sous le titre Du Saint-Laurent au Rhin : Carnets de guerre 1914-1918 [de] Joseph Alphonse Couture, édité et annoté par Mourad Djebabla-Brun (Septentrion, 2018).
Couture fut un des 35 000 Canadiens français qui se sont embarqués pour l’Europe, qui eut la chance d’échapper au sort de près de 60 000 Canadiens sur 600 000 ayant servi outre-mer, qui n’en revinrent pas. Francophone, Couture fit partie du 22e Bataillon, mais aussi du Corps expéditionnaire canadien à majorité anglophone comme sapeur et comme cuisinier, en d’autres termes comme « acteur » et comme «observateur » de la guerre.
Le conférencier fit surtout ressortir la valeur descriptive des carnets (à l’inverse de Bernard Andrès qui s’attacha plutôt au jugement de valeur porté sur le conflit dans une conférence subséquente) : « De Québec aux rives du Rhin en Allemagne, Joseph Alphonse Couture dresse un portrait complet de l’expérience d’un soldat canadien de la Première Guerre mondiale : de son recrutement… des années de souffrance dans les tranchées aux grandes offensives… et enfin de la démobilisation… Sans contredit, l’exceptionnelle richesse de ce témoignage d’un soldat canadien-français de la Première Guerre mondiale en fait un ouvrage de référence pour les historiens et le grand public voulant aborder l’histoire de 14-18 par le vécu et les émotions d’un jeune Québécois (Du Saint-Laurent au Rhin, p. 12-13). »
9 novembre : Lancement de deux publications aux éditions Septentrion
Du Saint-Laurent au Rhin : Carnet de guerre 1914-1918 de Joseph Alphonse Couture, édité et annoté par Mourad Djebabla-Brun Lors du lancement, le coprésident québécois, Denis Racine, souligne le grand intérêt du travail de son collègue Laurent Veyssière, qui démontre comment le souvenir de Vimy a pu être affecté par le passage du temps. Reprenant la présentation du dos de la couverture de la publication, le coprésident québécois poursuit : « Symbolisant l'idéal national canadien, Vimy devient un fort marqueur identitaire, réinterprété… Les raccourcis historiques et les partis pris narratifs font de Vimy une bataille mythique et un «lieu de mémoire» du Canada. Dans cet ouvrage, Laurent Veyssière déconstruit le mythe de Vimy pour en étudier tous les éléments, les replaçant dans leurs divers contextes politiques à travers l'histoire du Canada. » |
M. Denis Racine
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9 novembre en soirée – Un milieu propice à la réflexion et aux échanges : le souper au Collège
« Une image vaut mille mots. »
Photo : CFQLMC – Gilles Durand |
Photo : CFQLMC – Gilles Durand |
Journée du samedi 10 novembre 2018
Séance 1
Bernard Andrès : L’humour armé des lendemains de guerre : Joseph Lavoie et Moïse Martin (1919-1920)
Photo : CFQLMC – Gilles Durand |
Le conférencier choisit, parmi les écrits de guerre marqués par l’humour, ceux d’observateurs plutôt qu’acteurs, Joseph Lavoie et Moïse Ernest Martin. Ceux-ci sont des infirmiers rattachés à un hôpital militaire canadien. Ils nous présentent la Grande Guerre « vue d’en bas » au lendemain des événements en portant des jugements de valeur péjoratifs sur celle-ci : « …Je m’attacherai plus particulièrement dans la deuxième partie [de son ouvrage L’humour des Poilus canadiens-français dans la Grande Guerre] à deux infirmiers d’un hôpital militaire canadien : Oval et Rastus. Sous ces pseudonymes, Joseph Lavoie (le rédacteur) et Ernest Martin (le caricaturiste) adressent la plus violente des critiques à leurs supérieurs. D’abord sous le manteau, puis dans la presse satirique montréalaise, et enfin dans une brochure de 1920, ces « justiciers masqués » poussent l’humour armé aux limites du pamphlet. Leur style « sério-comique » sert admirablement la guerre intestine que mènent au sein de la Grande Guerre ces deux originaux. Leur patriotisme ne peut être mis en doute, persuadés qu’ils sont de rendre justice aux soldats du rang [à l’encontre des officiers], d’exalter la valeur des Canadiens français, et de restaurer par le rire l’honneur de leur unité (p. 19) ». |
Richard Garon : « Le Québec, les francophones et la Première Guerre mondiale, la mise à mort d’un mythe »
De g. à d. Richard Garon, Bernard Andrès, Mourad Djebabla-Brun
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Le conférencier s’interroge sur le bien-fondé de l’image changeante des Canadiens français, selon que l’on se situe avant ou après la résistance à la conscription de 1917. Avant 1917, l’image est celle de « magnifiques » combattants; après, ils sont accusés de ne pas avoir fait leur juste part dans la résistance aux envahisseurs, même de la part des Français de l’Hexagone.
Après en avoir recherché les fondements dans l’analyse d’un échantillon de plus de 3 038 dossiers de militaires, il en arrive aux explications suivantes :
- « La composition du Corps expéditionnaire canadien (CEC – plus de 627 500 hommes) correspond presque à la démographie canadienne de cette période.
- Les Canadiens de naissance [francophones et anglophones] sont moins enthousiastes que les immigrés : ils sont 65% de la population, mais seulement 39% du CEC.
- Les [Canadiens] francophones sont plus enthousiastes que les autres Canadiens : Ils sont 24,35% de la population, mais 38% des Canadiens de naissance du CEC.
- Les francophones servent dans presque toutes les unités du CEC : plus d’une centaine par unité d’infanterie; présents dans les autres armes (cavalerie, artillerie, Corps des mitrailleurs, forestiers, cyclistes, médical, intendance, génie, vétérinaire), mais aussi dans les unités britanniques et le Royal Flying Corps.
- Les Québécois (incluant tous les francophones et les anglophones ) sont légèrement moins enthousiastes : ils sont 24% de la population (compte tenu que 243 000 francophones en viennent à quitter le Québec pour l’Ouest), mais seulement 22% du CEC; ceci représente 4245 volontaires de moins de ce qui est attendu, soit 0,69 % du Corps expéditionnaire. »
Cependant, on peut encore prétendre, affirme le conférencier, que les Québécois et les francophones ont fait largement leur part.
Séance 2
Michel Litalien : « Le retour du guerrier : le 22e Bataillon d’infanterie, du 11 novembre 1918 à la démobilisation »
Photo : CFQLMC – Gilles Durand |
Une fois l’armistice signé, le 11 novembre 1918 (le traité de paix ne fut signé que le 28 juin 1919), le 22e Bataillon dut attendre jusqu’au 10 mai 1919 pour revenir au Québec. Composé d’un total de 5 919 militaires, officiers, sous-officiers et soldats, il comptait au retour 3961 morts et blessés. Dès son arrivée au Canada, la population québécoise reconnut sa contribution et l’acclama en héros pour le courage et la bravoure dont il avait fait montre.
Très vite cependant, la dure réalité le rattrapa. Ordre avait été donné par le gouvernement canadien, le 1er avril 1919, de limiter l’effectif militaire permanent à 5 000 soldats. Pour y arriver, la dissolution complète du 22e avait été prévue. Cependant, à la suite des interventions des dirigeants québécois, une solution de compromis fut trouvée : on coupa dans la Force permanente et deux bataillons du 22e furent réactivés et y furent intégrés. L’avenir du 22e fut davantage assuré quand il put enfin emménager dans la citadelle de Québec.
Carl Bouchard : « Stigmate de la guerre et réintégration professionnelle : les anciens combattants canadiens-français confrontés au marché du travail »
Photo : CFQLMC – Gilles Durand |
Le conférencier poursuit actuellement une recherche ayant trait à l’impact de la Première Guerre mondiale sur le niveau de vie de ceux qui y ont participé. Sa curiosité, dit-il, avait été piquée par une affirmation de l’historien Jean-Pierre Gagnon : « Rien en tout cas ne permet de croire que la guerre les [les soldats] a enrichis matériellement ». Le travail, effectué jusqu’à maintenant dans les sources, l’amène à remettre en question cette affirmation. « Plus des deux tiers des soldats [sans doute le conférencier prend-t-il en considération l’ensemble du Corps expéditionnaire canadien], dit-il, reviennent sans blessures. On en sait encore peu sur ceux qui s’en sont sortis », mais on peut penser que « la guerre n’est pas si traumatisante pour une majorité de soldats. Le fait de bouger vers l’Europe fut un facteur significatif dans l’avancement ». Les volontaires et les conscrits ont élargi leur champ de connaissance et augmenté leurs compétences, ce qui leur a permis de voir leur salaire et leur revenu augmenter entre 1911 et 1921.
Séance 3
Marcel Fournier : « Le parcours familial des Français de Montréal morts en Europe durant la Grande Guerre »
Photo : CFQLMC – Gilles Durand |
Le conférencier présenta un groupe de citoyens du début du 20e siècle qui sont souvent moins bien connus des Québécois, les Français de Montréal. Il cerne en particulier un groupe précis, composé de 106 militaires qui sont morts sur les champs de bataille européens. Il les situa dans un tableau d’ensemble : « Sur les quelque 5 000 Français du Canada, dont quelque 1 200 du Québec, 317 ont perdu la vie sur les champs de bataille européens. »
Pour ceux-ci, Marcel Fournier donna leur origine en France (le département) et ailleurs, leur statut civil, leurs occupations à leur arrivée à Montréal, l’année de leur migration au Canada, de même que l’endroit où ils sont décédés sur les champs de bataille. Le statut civil, célibataire ou marié, est particulièrement intéressant, car il peut servir à expliquer la présence d’une descendance.
Pour des informations additionnelles, on pourra consulter l’ouvrage du conférencier intitulé Les soldats français de Montréal morts en Europe à la Grande Guerre 1914-1918.
Jean-François Nadeau : « Antoine Rivard en Sibérie »
Photo : CFQLMC – Gilles Durand |
Le conférencier entretint l’auditoire d’un personnage bien connu au Québec, Antoine Rivard, lié à un événement plutôt inusité dans le cadre de la fin de la Grande Guerre, une expédition militaire canadienne à Vladivostok en Sibérie en 1918-1919. L’expédition avait pour but de venir en renfort à l’armée du tsar pour écraser la révolution bolchévique. Elle ne fut pas très active là-bas et revint au pays en 1919. Antoine Rivard, désireux de préserver l’ordre établi, s’était engagé dans cette expédition pour des motifs idéologiques, lutter contre la gauche et la montée du bolchévisme. À son retour, il fit son droit, devint avocat et se lança en politique pour devenir ministre dans les cabinets Duplessis, Sauvé et Barrette.
Ajoutons que l’expédition de Vladivostok a fait l’objet d’une publication aux Presses de l’Université Laval en 2012 sous le titre De Victoria à Vladivostok. L’expédition sibérienne du Canada 1917-1919 par Benjamin Isitt. Ce livre est présenté comme « un chapitre oublié de l’histoire du Canada et de la Russie : le périple de Victoria à Vladivostok, en 1918, de 4200 soldats canadiens envoyés en renfort dans la guerre contre le bolchevisme. Il éclaire la manière dont l’Expédition sibérienne a exacerbé les tensions au sein de la société canadienne en un temps où une classe ouvrière tendant à la radicalisation, de nombreux Canadiens français et jusqu’aux soldats eux-mêmes contestaient une entreprise militaire destinée à contrer la Révolution russe. »
Séance 4
Céleste Lalime : « La construction mémorielle de la Grande Guerre »
Photo : CFQLMC – Gilles Durand |
La conférencière, professeure de français et d’histoire, mentionna le sentiment d’oppression des Canadiens français, ayant participé à la Grande Guerre dans l’armée canadienne, comme un mythe. Elle présenta ainsi son point de vue.
Il y a bonne entente dans les forces armées canadiennes. Côté anglophone, « les médias… n’émettent que des commentaires élogieux envers les soldats canadiens-français. [Quant aux soldats anglophones, ils] écrivent peu sur leurs homologues francophones. Ils jugent et décrivent les soldats rencontrés pour leurs qualités militaires et non leur appartenance ethnique ou linguistique. »
Côté francophone, les soldats « semblent se plaire dans les unités anglophones. Seuls les membres du 22e témoignent d’un sentiment d’oppression. Les soldats du 22e cherchent à défendre par les armes [par leur courage et leur bravoure] la réputation de leur race entachée par la presse anglophone. » Le journal Le Devoir joue aussi un rôle prépondérant dans la création progressive du mythe de l’opprimé.
Le mythe de l’opprimé est allé s’accentuant à compter des années 1920. La Deuxième Guerre mondiale y a contribué de même que les années 1960-1970 : « L’indépendantisme québécois reprend le « mythe » de l’opprimé pour servir la cause identitaire, affirme la conférencière. »
La conférence a suscité des interventions qui allaient dans le même sens : distinguer le niveau individuel et le niveau collectif dans la priorité accordée à la langue dans l’espace public; dans les forces armées canadiennes, les soldats canadiens-français étaient probablement bilingues, sinon désireux ou en passe de le devenir; tenir compte (intervention de Denis Racine) que le bilinguisme a fait son entrée dans l’armée canadienne à compter des années 1960 et qu’auparavant les Canadiens français ne pouvaient pas s’épanouir dans leur langue, l’armée étant un milieu anglophone.
Roch Legault : « Une mémoire défaillante : L’histoire militaire et l’histoire de la Première Guerre mondiale dans les programmes de baccalauréats »
De g. à d. Roch Legault, Céleste Lalime
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Le conférencier, doyen à la recherche au Collège militaire, partit d’une constatation : malgré la présence de travaux d’artiste et d’historiens, il y a absence « de cours spécifiques ou dont le point d’ancrage historique serait les émeutes de Québec de 1918 dans les universités québécoises ([et] canadiennes par ailleurs) ».
Pour approfondir le sujet, il adopta une approche particulière : étudier le contour de l’historiographie plutôt que la production historique elle-même, c’est-à-dire le contenu des cours en histoire militaire, offerts dans les universités québécoises et canadiennes, de même que leur quantité. Il en dégagea la conclusion suivante : « Mais au fond, cet oubli, cette défaillance de la mémoire nous semble plutôt le résultat d’un choix bien conscient, un choix historiographique, le choix des quelque 1 000 enseignants-chercheurs des départements d’histoire du pays comme le démontrent nos travaux sur le Canada. On ne devrait peut-être pas juger trop rapidement un genre sur la base de vieux stigmates, mais sur ses valeurs heuristiques. Il nous paraît évident, que le milieu institutionnel et son environnement socio-politique se conjuguent pour influencer la science historique.
Dans le contexte particulier de la Belle Province, les cours dispensés au premier cycle à l’université contribuent à la défaillance de l’appareil mnémonique savant quant aux guerres et à la Première Guerre mondiale en particulier. Cette politique de nos élites intellectuelles sert peut-être un but : celui de ne pas raviver les déchirures toujours bien vivantes. »
Table ronde
Les lendemains de la Grande Guerre au Québec : quelles particularités? Avec Charles-Philippe Courtois, Béatrice Richard, Magda Fahrni
De g. à d. Béatrice Richard, Magda Fahrni, Charles-Philippe Courtois
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Charles-Philippe Courtois, professeur au CMR de Saint-Jean
Charles-Philippe Courtois fait ressortir la dimension politique reliée à la sortie de guerre et l’opposition des deux peuples fondateurs quant à l’usage du français. Par exemple, le gouvernement conservateur Borden fera porter tout le blâme sur les Canadiens français des comtés ruraux pour leur tiédeur face à la conscription, alors que les anglophones en ont également fait montre. « Bref, écrit C.-P. Courtois dans Le Québec dans la Grande Guerre. Engagements, refus, héritages (Septentrion, 2015, format numérique, p. 21), le front intérieur est tout sauf uni. Le gouvernement conservateur fédéral aura naturellement tendance à être solidaire de son homologue ontarien (les structures des partis conservateur et libéral au provincial et au fédéral ne sont pas séparées à l’époque, mais pleinement pancanadiennes), d’autant que plusieurs de ses députés représentent des bastions orangistes ou loyalistes à Ottawa. Son ministre de la Milice, Sam Hughes, aura lui-même du mal à faire une place au français et aux francophones dans les Forces armées. Avec la crise des écoles canadiennes-françaises en Ontario qui bat son plein en 1914, l’absence de reconnaissance du français dans l’armée et l’opposition des Canadiens français à la participation du Canada aux guerres impérialistes britanniques comme la guerre des Boers, la table est mise pour une grave crise entre les « deux peuples fondateurs » lorsque le Canada entre en guerre le 4 août 1914. »
Béatrice Richard, doyenne à l’enseignement au CMR de Saint-Jean
La conclusion d’un texte de la conférencière, paru en 2015 dans Le Québec dans la Grande Guerre, format numérique p. 120-121, représente bien quelques-unes des idées émises : « …[C]e survol révèle la complexité de la crise, notamment la pluralité des motifs et des stratégies de résistance à la conscription qui se déploient au Québec. On s’aperçoit que, si la mémoire collective a eu tendance à réduire cet épisode à un choc entre les deux peuples fondateurs, cette interprétation tend à occulter les fondements sociaux de la crise.
Les représentants de l’élite locale se retrouvent le plus souvent en première ligne pour appliquer ou faire respecter une loi impopulaire, devenant ainsi des boucs émissaires tout désignés. Aussi les affrontements prennent-ils le plus souvent leur source au plus bas niveau, entre Canadiens français en position d’autorité et des congénères révoltés. On observe également que, prises entre l’arbre et l’écorce, les mêmes élites exhortent ouvertement la population à l’obéissance tout en se faisant complice de comportements illégaux, que ce soit par manque de moyens ou par passivité… En même temps, certains notables ne manquent pas de faire jouer leurs relations pour soustraire leurs fils à l’épreuve du feu, phénomène qui semble notoirement connu de la population et source de ressentiment généralisé, comme on a pu le voir à Québec. Ces affrontements sociaux prennent également la forme d’une résistance diffuse mais bien organisée, notamment dans les communautés rurales peu accessibles – ou rendues comme telles… –, soit un ensemble d’actions qui pourrait s’apparenter à une forme de guérilla « douce »… L’examen de ses conditions de vie permet de comprendre la détermination de la population en ce sens. Les lettres adressées au général Landry témoignent en effet d’un tissu social voué à une certaine précarité face à la conscription, en dépit de liens communautaires serrés, phénomène que pourrait expliquer en partie le très faible nombre de mâles disponibles au Québec comparativement aux autres provinces du Canada.
Finalement, la Loi du service militaire semble avoir exercé une pression intolérable sur la société canadienne-française du Québec, contribuant à exacerber les conflits de classe, surtout dans les centres urbains où les « meneurs » identifiés sont d’origine ouvrière. La ponction institutionnalisée d’hommes dans la force de l’âge est perçue comme une atteinte à la survie même du groupe, notamment en milieu rural. Sur ce plan, les classes moins favorisées ont pu se sentir abandonnées par des élites locales qui, au lieu de les soutenir ouvertement contre la conscription, prônent l’obéissance et profitent parfois de leurs relations pour échapper elles-mêmes aux obligations militaires. En résulte une perte de confiance envers les pouvoirs locaux qui dès lors peinent à remplir leur rôle tampon habituel entre la population et le pouvoir central. Cet isolement expose les habitants du Québec à un choc frontal avec le gouvernement fédéral, phénomène qui va bien au-delà d’un simple « désordre » ou encore de la seule fracture nationale. Le mouvement de contestation observé ici reflète au contraire un ordre social suffisamment structuré et puissant pour générer des tactiques d’insoumissions diversifiées mais cohérentes, à l’encontre soit des élites provinciales, soit de l’État fédéral. Dans cette perspective, la crise de la conscription au Québec pourrait donc avoir pris sa source tout autant, sinon plus, dans des antagonismes sociaux que dans des antagonismes nationaux, une piste qu’il conviendrait d’explorer plus avant afin de restituer cet événement dans sa complexité. »
Magda Fahrni, professeure à l’Université du Québec à Montréal
La conférencière mit également l’accent sur l’histoire sociale, mais en retenant un aspect plus spécialisé, les accidents de travail. La conclusion d’un texte publié en 2015 dans Le Québec dans la Grande Guerre, format numérique p. 132-133, exprime bien sa position : « L’histoire sociale de la Première Guerre mondiale au Québec demeure encore méconnue – surtout si on la compare à celle de la Deuxième Guerre mondiale, qui a suscité un plus grand nombre d’études scientifiques. Les historiens de la Grande Guerre au Québec ont été préoccupés davantage par des questions politiques liées aux clivages nationaux et la conscription militaire. Ce texte constitue donc une rare tentative québécoise de comprendre l’histoire sociale de la Grande Guerre, en examinant le travail industriel en temps de guerre et les accidents qui en résultaient.
…Dans la foulée des controverses liées… à la conscription militaire, l’intervention étatique, notamment fédérale, risquait d’avoir des conséquences politiques sérieuses. Déjà en septembre 1915, par exemple, des syndicats québécois et canadiens se sont prononcés fermement contre l’aspect coercitif de la conscription militaire. Entre la conscription militaire et l’intervention étatique afin de compenser les victimes d’accidents industriels, il y a évidemment une distance : lors de la même réunion annuelle, le Congrès des métiers et du travail du Canada a justement louangé les mesures nouvellement adoptées par l’Ontario et la Nouvelle-Écosse qui visaient à indemniser les ouvriers blessés. Mais il se peut que le gouvernement libéral provincial, tout comme le fédéral, ait voulu opter pour la prudence dans ce contexte très particulier… D’où l’intérêt, il me semble, de croiser l’histoire politique et l’histoire sociale du vécu québécois de la Grande Guerre, pour mieux l’appréhender. »
10 novembre : Lancement de deux publications
Les soldats français de Montréal morts en Europe à la Grande Guerre 1914-1918
par Marcel Fournier, CFQLMC
À l’accueil, de g. à d. Marie Janelle, Pierrette Brière, Marcel Fournier
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L’humour des Poilus canadiens-français dans la Grande Guerre
par Bernard Andrès, Presses de l’Université Laval